Ma rencontre avec un poème

Il y a quelques temps, dans le recueil de poésies féminines Quand les femmes parlent d’amour (Françoise Chandernagor, Editions Le Cherche Midi 2016), j’ai rencontré Denise Jallais. Son court poème Berceuse pour mon enfant mort m’a touchée comme peu de textes le font. Je ne suis pas la seule, il a été traduit dans le monde entier. Pourtant aujourd’hui aucune de ses oeuvres n’est encore publiée.

Au prétexte d’un atelier d’écriture, j’ai essayé de mieux la connaitre, je me suis imaginée qui elle était. Je vous livre mon poème.

Biographie de Denise Jallais

Il faut sans doute aimer la vie
Pour la peindre avec vibration
En si peu de mots
Et donner les vers à manger
Au lecteur en pleurs
Devant ton enfant mort.

Toi tu naquis en 1930 face à l’Atlantique
Et aux îles bretonnes qui y flottent en escadrilles.
Saint-Nazaire a le goût du fer le poids des caisses le bruit des cargos camions
La couleur des containers empilés.
Comment était ton Paris de femme adulte et journaliste et poétesse ?
Quelle odeur faisait-il au seuil de l’été 2020
Celui que tu ne vis pas
Quand ton dernier souffle s’envola ?

Être remarquée à 17 ans par Elsa Triolet et Aragon
Éditée déjà dans Les Lettres Françaises
Puis se marier à 18, remettre le couvert à 30
Avec un autre
Avoir cinq enfants
Et la folie d’écrire
Encore
Toujours
Plus
Sans froufrous
Au milieu des revues pour femmes de l’après-guerre
Qui se firent un peu féministes grâce à des plumes comme la tienne.

Tu fus récompensée du prix Louise-Labé pour ton œuvre poétique
Et du prix Jasmin pour tes critiques littéraires de parfums.
Joseph Kosma mit tes mots en musique
Ta fonction de Grand Reporter te donna de vivre des moments historiques
Et de rencontrer des Importantes et des Illustres
Nicole Corbassière Pompidou Hélène Lazareff Giscard entre autres.

Poétesse du sensible
Du Matin triste de L’arbre et la terre
Quelles couleurs donnas-tu à la mer ?
Je dois le lire.
Tes chevaux sont sauvages
Tu veux exalter la vie quotidienne
Tu racontes La Lionne assise et La Tsarine et La Princesse
Venise, juste en face.

Tu veux des Poèmes de vie
Celui qui fit ta renommée parle de ton bébé
La terre prête à pénétrer sa bouche
T’attendant sous les rosiers.

Moi aussi il me fit pleurer.

2021

Je suis
en vie,
2021.

J’aime
J’ai peur
Je suis forte
Je suis lâche
Résiliente
Calculatrice.

Je suis toujours
là,
2021.

Je voudrais porter
tel un étendard
mes petites victoires
et mes grands ratés.
M’envelopper de mes rêves
me parer de volonté
oser me recroqueviller
et demander trêve.

La joie vit en moi
j’en suis étonnée
et reconnaissante
mais aussi honteuse
quand autour de moi
tout est si fragile
le courant mauvais
se battre et refuser
le chemin civique.

Réussir ma vie domestique est une odyssée
il ne faut pas que je m’en voile,
nous sommes canopée
l’arbre seul n’est rien.
Mais pour être arbre
il faut être forte et puiser la force
dans des racines à étendre
à la sueur de mon front.

Prendre place dans la sylve
faire vibrer mes feuilles
pousser vers la lumière
faire forêt
agir en écosystème.

2021.

Quelque chose que je vois depuis ma fenêtre.

Les briques voudraient faire rempart, empêcher tout esprit vagabond de sortir de la chambre. Le mur dit « Reste à ta place. Remplis tes obligations. Sois le petit homme, la simple femme que l’on attend. Baisse les yeux et cesse de rêver d’ailleurs. »

C’est vrai, depuis le lit, c’est d’abord lui que je vois par le velux. L’immeuble un peu plus haut d’à côté. Cette frontière rouge et blanche – tiens comme les bandes que l’on installe autour des lieux interdits. Chacun chez soi.

Mais quelque chose de plus grand, d’immuable, le surpasse et le rend inopérant. Un espace infini qui ne sait pas ce qu’est la liberté puisqu’il ne connaitra jamais l’enfermement. Mes yeux ne s’y trompent pas, c’est vers lui qu’ils se tournent d’abord, à chaque fois. Le ciel.

Son bleu tranche avec tous les rouges. Les nuages qui le traversent invitent à voyager aussi. Ils vont voir ailleurs, portés par le vent. Pourquoi ne le pourrais-je aussi?

Ce n’est pas la pluie qui tambourine sur les tuiles qui m’en dissuadera; elle est la vie qui frappe à ma chambre. Les éclairs et le vent se révoltent; rien ne doit stagner ni sécher. La nuit même, noire ou blanche de lune, marque le temps qui passe et l’urgence d’être.

Petit mur de briques qui te croyait si fort, comment as-tu pu penser cacher le ciel? Tu pourrais occulter tout l’espace visuel, tant que l’idée de ciel habitera mes yeux, c’est cela qu’ils continueront à voir.

Octobre est le mois du dessin,du moins sur les réseaux, sous le hashtag #inktober. Chacun.e se challenge, en dessinant chaque jour, la plupart du temps en suivant une liste de thèmes. C’est comme ça que je suis tombée sur la liste d’Alessandra Criseo (@mais2_art).

Je ne dessine pas. Mais pourquoi pas écrire, chaque jour, un poème, une description, un billet d’humeur, que sais-je! En tout cas venir ici chaque jour, faire jouer ma plume.

Aujourd’hui nous étions le 6 octobre, j’ai écrit ce que je voyais depuis ma fenêtre.

Sentir

C’est un petit tube jaune.
Un petit tube plein de lumière.


Il en sort en serpentin
une crème ivoire épaisse.
Serpentin aussi fin
qu’un tel tube le permet.
Crème aussi magique
que le moment le requiert.

Déposée sur la pulpe des doigts
délicatement tamponnée sur un nez,
des joues rouges, un front froissé, un coup tendu,
elle s’étire, recouvre, se fond.

Alors sa magie opère.

Elle sent le soleil au zénith
la peau nue
le sable chaud sous la main étendue.
Le doux drap de bain sous les cuisses
les épaules calées dans le sol mou
les gouttes fraiches d’un voisin qui s’ébroue.

Le petit tube tire à l’aveugle
bruit de houle sur cris humains
brouhaha de joie et farniente.
La crème évoque
– bien malgré elle ? –
le sel qui pique
d’abord
puis enivre
toujours.
L’écume lèche les pieds
les rouleaux font valser
la grande bleue aspire.

– Hmmmm….

Le petit tube est refermé,
rangé dans son tiroir.
Des yeux se rouvrent devant le miroir.

L’océan est en fait si loin.

Pourtant le tube a marqué le retour
des rêves et promesses et envies,
la capacité à se voir
dans un futur plein d’été.

(Sur les saisons, lire aussi Attendre du printemps)