Cartographier la liberté

Ecrire une fois par saison, c’est pas jojo jojo dis ! Je n’ai aucune excuse. Mais je reprends le fil où je l’ai laissé (sauf pour l’article sur le mariage, hmm, désolée Marie). Je vous parlais en février d’un projet différent, d’une envie de créer. Voilà, c’est fait.

Je me suis lancée dans une aventure de podcast. Je pars en quête de liberté dans une sorte de vlog audio qui me fait rire. Et réfléchir. Et renouer avec un délice d’enfant : parler dans un micro et raconter des histoires en live. Un exercice bien différent de l’écriture dans le premier jet. Mais qui a comme même exigence de transformer un sentiment en une pensée (un peu) construite pour être partagée.

Pour tout savoir de ce projet, rendez-vous sur mes pages dédiées sur Instagram ou Facebook, et les plateformes d’écoute dont Deezer et Spotify.

Je n’ai pas envie d’arrêter d’écrire ici. Je suis en train de réorganiser ma vie créative et numérique, de la simplifier pour donner plus de place à l’inspiration. A bientôt sur les réseaux Cartographier la liberté, ou ici. Toujours dans la joie et la simplicité de l’essai et du partage.

Choisir

Il y a quelques jours, j’ai demandé sur mon compte Instagram des idées de sujets pour me remettre à écrire ici. L’une de mes lectrices a proposé « Le Choix ». J’ai souri et pensé « la vie est une grande blagueuse. »

Ce mois de janvier, je l’ai passé à prendre des décisions pour mon avenir et celui de ma famille. Des décisions à conséquences immédiates « Vais-je encore faire subir un auto-test à mes toutes petites ?  » ( je suis en effet plus maman-poule qu’on pourrait le croire), et des décisions qui réorientent nos vies, par exemple un déménagement à 1000km de chez nous. Bientôt, il y aura la décision dans un isoloir. Et dès à présent, la décision sur quel avenir pro pour moi dans notre nouvelle vie. Tous ces choix, je les fais assez vite, parce que mon fonctionnement est très simple : l’instinct.

J’ai des ami.e.s que cela fait tomber de leurs chaises : « Vous avez acheté votre maison en une seule semaine après 3 visites ?! ». Ils sont gentils et n’expriment pas à voix haute la désapprobation que je lis dans leurs yeux : « Ces gens sont maboules, quand je pense qu’on les fréquente depuis 10 ans et pire, que parfois ils gardent nos enfants ! ». Mais j’ai choisi un conjoint qui procède comme moi. Et jusqu’à présent cela nous a plutôt réussi.

Seulement ces dernières semaines ont puisé beaucoup de mon énergie, parce que j’ai en objectif non négociable la sécurité des gens qui me sont chers – oui, déménager des enfants qui n’ont rien demandé, ça fait monter mon niveau de stress parental au max, du simple « Aurai-je encore de quoi remplir leurs assiettes ?  » à « Combien d’années de psychanalyse pour se remettre d’un déracinement ? » (maman-poule, j’en ai déjà parlé ou pas ? ) . J’ai donc laissé de côté certains de mes choix personnels, intimes. Je ne peux pas tout porter en même temps, me disais-je.

Une promesse que je m’étais faite il y a deux ans, quand j’ai quitté le salariat et tenté ma chance dans l’écriture, c’était de faire des trucs qui me faisaient marrer, qui m’instruisaient, de créer, de lire, de rencontrer des gens, de voir des choses. Je ne l’ai pas fait de la manière dont je l’avais imaginé, parce que… la vie quoi, le Coco, les enfants, la procrastination, les remises en cause, les fausses pistes. Et puis des trucs c’était peut-être pas tant que ça un objectif réalisable… Mais le pire qui était en train de m’arriver au bout de ces deux ans, c’est que ma peur, de manquer d’argent, de faire peser mon rêve sur les épaules de mon mec, de ne pas avoir totalement choisi la voie qui me correspondait, cette peur elle était en train de me faire dévier de mon choix premier. Et retomber dans ce que je ne voulais plus.

Alors la demande d’Elise, « Parle nous du choix », elle arrivait à pic. Ok je suis mon instinct. Ok dans les projets familiaux mon co-pilote et moi on est raccord. Mais toi bordel de nouilles ? Où te situes-tu dans tout ça ? Que fais-tu pour ton projet secret et mégalo de conquérir ton monde intime pendant tout ce temps ? De t’épanouir en dehors du foyer ?

J’ai donc choisi de remettre sur le devant de la scène un projet auquel je pense depuis quelques mois, mais que j’avais caché sous un gros caillou pour me consacrer aux trucs d’adultes. Ce choix il était sans doute nécessaire pour me délester un peu, le temps que le tourbillon passe, que j’ai plus d’énergie. Mais un choix ça se questionne, ça n’est pas gravé dans le marbre.

Aujourd’hui je choisis donc de redonner de la place à ce projet, dont je peux déjà vous dire qu’il est incroyablement en lien avec la question du choix. Décidément cette concordance des planètes !

Dans les jours qui viennent je vais poser toutes mes idées sur le papier et réfléchir à comment les partager avec vous. Puisque un choix dit HAUT et FORT à plus de chance d’être mis en oeuvre, je m’engage déjà à répondre dans mon prochain article à une autre demande de sujets, autour de la préparation au mariage. Et vous verrez, là aussi on est pile dans les questions qui grouillent en moi en ce moment.

D’ici-là, n’ayez pas peur de choisir. Et racontez-nous là dessous un choix marquant de votre vie.

La table à langer

Il n’y a plus de table à langer dans la salle de bain.
Ce vide m’emplit de pensées.
Elles tapissent mon estomac et la nausée me prend.
La même que celle dans laquelle nous commencions nos journées
quand nos coeurs battaient à l’unisson.

La salle de bain est plus grande.
J’ai jeté tous les petits tubes de crème que nous n’utiliserons plus. Je pensais me sentir débarrassée.
Mais j’étouffe.
Vos yeux plus jamais ne sonderont le fond de mon âme avec la même impudeur.
Ils me faisaient si peur.
Et maintenant que je suis plus forte, que je pourrais les accueillir, c’est vous qui détournez la tête et montez le mur, pierre à pierre, qui délimitera bientôt nos territoires distincts.

Il n’y aura plus de table à langer pour vous.
Oublierez-vous aussi nos mains qui se cherchaient, vos premiers rires quand votre ventre s’offrait à ma gloutonnerie, nos nuits d’insomnie quand j’étais tout, que vous étiez tout ?
Nous comprenions-nous mieux alors ? Non. Bien sûr non. Et puis j’ai grandi et su que jamais tout à fait nous ne nous comprendrions. Et j’ai rangé ma vanité dans la boite de vos premières chaussures.

J’ai lavé la salle de bain. Mes flacons se sont retirés pour offrir un nouveau rangement à vos pyjamas et petits trésors. Les deux paniers noirs de mes affaires sont maintenant dans le placard à porte, cachés des regards. Je n’ai pas pu tout à fait reprendre le dessus dans la pièce, vos traces sont toujours plus voyantes. Je m’efface.

J’ai fait couler l’eau et tout emplit de buée.
Avec elle, j’ai écrit tout ce que j’ai râté
et qui ne reviendra plus.

Devenir une caricature.

J’avais les cheveux sales, je me sentais mal fagotée, mon corps menait une vie indépendante de la mienne, je n’arrivais à ne m’émerveiller d’aucun moment avec mes filles, et en un éclair de lucidité j’ai pensé : « Tu es devenue tout ce que tu refusais. »

Avoir des enfants n’était pas mon objectif de vie. Devenir parents fut un projet de couple, porté par nos sentiments réciproques et nos envies de vie commune. Pour aucun de nous deux il n’était question de réalisation personnelle dans l’enfantement. Mes rêves de toujours se situaient dans mes ambitions professionnelles et intellectuelles. J’avais échafaudé un prototype de femme, et tentait tant bien que mal de le créer, de l’incarner. Je n’y étais pas encore arrivée lorsque la maternité fit irruption dans ma vie, mais je n’aurais pas pu prévoir le coup d’arrêt, que dis-je le cataclysme, que cette nouvelle réalité allait jeter sur mes envies et convictions. La façon dont elle ferait éclater jusqu’à mon identité.

Ce que je refusais d’être, c’était une adulte rabougrie et aigrie, courant après les obligations, se laissant recouvrir de fatigue et s’oubliant au profit de ses enfants. Et je l’étais devenue, en quoi, 18 mois ? Car en voulant mener carrière battante, je m’étais créé un emploi du temps cacophonique, incompatible avec mon besoin de temps vide et de solitude. En m’intéressant à l’éducation bienveillante, je me donnais des objectifs de comportements ne correspondant plus à la mère que je voulais vraiment être, au plus profond de moi et en accord avec mon caractère. J’étais constamment en colère de ne pas parvenir à être une mère idéalisée, une autre que moi. J’étais donc désagréable et frustrée, incapable de profiter du bon, ne voyant que le mauvais, frigide (et la jouissance ne concerne pas que la sexualité) . J’avais le sentiment d’être devenue cette image de maman un peu hystérique, pas très intéressante, exclue du quotidien palpitant des autres adultes. Tu vois le tableau ? (Pardon Loïs-maman-de-Malcolm, mais cette photo, putain on dirait moi entre 2018 et 2020 !)

La fatalité d’une condition pas choisie m’écrase, et la culpabilité de ne pas donner le meilleur de moi-même à mes enfants me ronge. Je me débats comme un rat cherchant à fuire une cage en feu. Prête à me manger une patte pour me faufiler par n’importe quelle issue. Et l’image que me renvoie le miroir me dégoute. Je m’en fous de ne pas ressembler aux working mum imaginaires que nous vend la société capitaliste. Mes intérêts féministes me protègent de ça, merci. Mais je ne me reconnais plus. On m’a pris ce que j’étais, pire, ce que je voulais être, et mis une camisole dont je ne sais me défaire.

Comme le rat c’est l’instinct de survie qui m’a fait dévier de cette route dangereuse. J’ai rongé ma queue et j’ai réussi à m’arrêter sur le bas côté. Ce que j’ai décidé de perdre ? Mon boulot. Ca m’a fait mal, être mère au foyer était mon cauchemar. Mais mon identité avait volé en éclats, plus rien ne tenait de ce que j’avais pensé jusque-là. Jusqu’à toi qui en venant au monde rebattait aussi les cartes de ma vie.

Il m’aura fallu des larmes, des batailles perdues, des heures d’errance. J’aurais profité des bras tendus, des paroles de soutien, des sourires derrière le brouillard, des mots d’inconnues, même des reproches qui renforçaient mon envie de sortir de ce trou. Je peux écrire aujourd’hui que je ne suis plus cette caricature, je suis juste moi, imparfaitement mère et femme, mais à ma façon. (Et plus mère au foyer, je laisse à celles qui kiffent.)

Je voulais depuis longtemps mettre des mots sur ce ressenti diffus, à présent que je me sens revenue à moi-même. Je n’y arrivais pas. Et puis hier j’ai lu ça. Des tas de femmes ont parlé de leurs difficultés post-partum. Une commission a travaillé sur les 1000 premiers jours de l’enfant, fait des propositions sociales importantes. Mais notre gouvernement a choisi d’y répondre en offrant aux mères une box, pleine de produits (y a encore des boites qui vont se faire des couilles en or sur le dos des femmes…) dont une crème hydratante et un sac pour que, merde, on se bouge le fion et redevienne vite présentable à la société.

Tu as compris j’espère qu’une crème hydratante et un sac de sport ne pourront jamais rien dans la crise identitaire que peut provoquer la maternité. Il n’y a que James Bond qui arrive à se faire un pontage cardiaque avec un capuchon de stylo bille. Et James Bond est, comme la working mum allaitante musclée souriante et bien coiffée de Pinterest, un personnage de fiction. Une caricature.