C’est ma fête ?

La graine a pris. Minuscule et fragile dans le secret de mon ventre. Je ferme les yeux pour en voir les racines. Avant d’être un autre, ce possible m’emmène au plus profond de moi : scruter l’endroit où il s’est installé, imaginer à quoi il ressemble, décider aussi de quoi il retourne.

Faut-il le faire pousser ?

Très vite la question se renverse. Que pousse-t-il lui, ce germe, cet embryon de vie ? Que force-t-il en moi pour se faire sa place à lui ?

Tout va se jouer dans ma possibilité à accepter, à partager l’espace.

Mon corps. Je croirai d’abord que tout est là. Puis le déplacement se fera chamboulement, il faudra m’accrocher pour garder ce à quoi je tiens et me battre, graine au ventre, pour choisir mon propre chemin.

Materner pour les autres c’est : grossesse, joies, vacances. Dans mon quotidien j’entend surtout : hôpital, sécurité de l’enfant, examens, allaitement, être toujours belle, ce n’est pas une maladie, ménagez-vous.

Ce matin le journal L’Alsace titre « Ce devait être le plus beau jour de sa vie, c’est le jour où elle va la perdre. »

Écrire pour ne pas perdre la vie.

Écrire pour donner la vie.

Des graines j’en ai plein le ventre. Je ne le savais pas.
Il a fallu les cris de tous ceux qui s’appropriaient mon corps pour que je cherche.
Qu’est-ce qui était important ? Qu’est-ce que je devais cultiver ?

Je ne voulais pas être « La femme enceinte », cette espèce de bête mythique devenue monstre de foire, que tous s’accaparent. Je ne voulais même pas être « La maman », ce rôle social posé sur mes épaules comme une camisole. Je voulais être moi, encore, mieux, plus forte. Pour nous.

La graine que tu étais a fait pousser toutes les autres. Je me retrouve en charge d’un florissant domaine, et rejoue perpétuellement ce que tu m’as fait connaitre : repérer, observer, choisir, cultiver, faire naitre.

Puis offrir au monde.

Ma rencontre avec un poème

Il y a quelques temps, dans le recueil de poésies féminines Quand les femmes parlent d’amour (Françoise Chandernagor, Editions Le Cherche Midi 2016), j’ai rencontré Denise Jallais. Son court poème Berceuse pour mon enfant mort m’a touchée comme peu de textes le font. Je ne suis pas la seule, il a été traduit dans le monde entier. Pourtant aujourd’hui aucune de ses oeuvres n’est encore publiée.

Au prétexte d’un atelier d’écriture, j’ai essayé de mieux la connaitre, je me suis imaginée qui elle était. Je vous livre mon poème.

Biographie de Denise Jallais

Il faut sans doute aimer la vie
Pour la peindre avec vibration
En si peu de mots
Et donner les vers à manger
Au lecteur en pleurs
Devant ton enfant mort.

Toi tu naquis en 1930 face à l’Atlantique
Et aux îles bretonnes qui y flottent en escadrilles.
Saint-Nazaire a le goût du fer le poids des caisses le bruit des cargos camions
La couleur des containers empilés.
Comment était ton Paris de femme adulte et journaliste et poétesse ?
Quelle odeur faisait-il au seuil de l’été 2020
Celui que tu ne vis pas
Quand ton dernier souffle s’envola ?

Être remarquée à 17 ans par Elsa Triolet et Aragon
Éditée déjà dans Les Lettres Françaises
Puis se marier à 18, remettre le couvert à 30
Avec un autre
Avoir cinq enfants
Et la folie d’écrire
Encore
Toujours
Plus
Sans froufrous
Au milieu des revues pour femmes de l’après-guerre
Qui se firent un peu féministes grâce à des plumes comme la tienne.

Tu fus récompensée du prix Louise-Labé pour ton œuvre poétique
Et du prix Jasmin pour tes critiques littéraires de parfums.
Joseph Kosma mit tes mots en musique
Ta fonction de Grand Reporter te donna de vivre des moments historiques
Et de rencontrer des Importantes et des Illustres
Nicole Corbassière Pompidou Hélène Lazareff Giscard entre autres.

Poétesse du sensible
Du Matin triste de L’arbre et la terre
Quelles couleurs donnas-tu à la mer ?
Je dois le lire.
Tes chevaux sont sauvages
Tu veux exalter la vie quotidienne
Tu racontes La Lionne assise et La Tsarine et La Princesse
Venise, juste en face.

Tu veux des Poèmes de vie
Celui qui fit ta renommée parle de ton bébé
La terre prête à pénétrer sa bouche
T’attendant sous les rosiers.

Moi aussi il me fit pleurer.

Inspirée

Tu voudrais avoir des choses à dire
alors tu ouvres la bouche
et ça sort.

« Y avait du monde à la boulangeire, pff! »

Bravo.

Tu voudrais avoir des choses à dire
alors tu ouvres une page blanche
tu tapes et tu effaces, tu tapes et tu effaces, tu fermes la page.

Tu as des choses à dire
alors tu prends de quoi écrire, tu plonges dans une pièce vide et fermes la porte.

Tu es fébrile en allumant l’écran.

L’enfant est plus rapide que toi
elle est déjà contre ta cuisse.
Ses mots à elle font s’envoler les tiens,
bouche soufflant sur le pissenlit blanc
disperse les aigrettes fragiles dans l’air.

Tu te veux inspirée
pourtant les pensées restent bourgeons
pas assez de soleil ni d’eau pour les faire éclore
ta terre est tarie.

Si le monde donne le souffle
il y a du monde pour te le souffler
te prendre l’énergie nécessaire
pour aller plus loin que tes besoins primaires.

Tu te mets à faire des rimes
trop faciles
sans les chercher
réflexes d’écriture
pour parler quand on ne sait plus.

Les pas dans l’escalier approchent
cette fois tu as eu plus de temps
mais voilà le
– Maman! A table!
et tu éteins la lumière.