Et puis, un jour,

j’ai compté en arrière, et le nombre de soirées à tourner dans mon lit sous les remous de la culpabilité maternelle était insignifiant

j’ai grondé ma fille qui nous rendait toutes chèvres, et quand on s’est réconciliée je suis vraiment passé à autre chose, le cœurléger, sans analyser tout ce que j’avais prononcé, sur quel ton, et pourquoi je n’avais pas su rester calme

j’ai mis mes enfants une heure devant un dessin animé pour pouvoir faire ma séance de sport pénarde, et j’ai pensé avec pitié à tous les pseudos psy qui m’auraient lapidée

j’ai dit « tu sais même quand on se dispute parce qu’on n’est pas d’accord je t’aime. Je t’aime toujours toujours ça n’a rien à voir avec le fait que je ne supporte pas quand tu hurles dans mes oreilles parce que ta sœurt’a regardée en louchant. », et j’ai dit « j’adore être avec vous et j’adore sortir avec mes copines » en claquant la porte de la maison sans me retourner. Et tout ça sans que les larmes me montent aux yeux.

j’ai regardé dans le miroir la mère que j’étais, je lui ai caressé la joue, on s’est mises d’accord qu’on en faisait déjà bien assez et qu’en vrai, on n’avait pas le pouvoir de faire de nos filles des êtres parfaitement heureuses et équilibrées. On a rigolé bêtement face à nos ambitions de démiurge.

J’ai lutté, pendant Le Grand Confinement, pendant des années, parfois en le cachant sous des mots à la troisième personne, souvent en le gardant pour moi. Et puis, un jour, je me suis sentie plus légère.

Je ne m’en suis pas rendu compte tout de suite. Je ne sais pas très bien pourquoi. Je voulais juste te le dire.

Avoir son bac.

Je me souviens de l’air d’été caressant mes épaules. De la légèreté de mes jambes parcourant l’asphalte. Je n’ai jamais autant marché que lors de mes années de lycée ; des jours passés tant dans l’enceinte du bahut que dans les rues bordelaises. Encore plus en ce mois de juin sentant la vie devant soi.

Vous l’avez, cette odeur de tous les possibles, de l’été entre le bac et… la vie ?

Moi j’avais l’impression qu’une porte s’ouvrait sur un monde plein de promesses. D’abord celles des longues journées sans révisions, sans horaires, avec pour seule compagnie les potes et les heures libres, le droit d’aller où je voulais, les nuits lumineuses et les rêves.

C’était il y a 18 ans. L’âge que je célébrais alors, dans le mini bikini léopard que mes amis m’avaient offert comme cadeau d’anniversaire, au milieu de nos rires et serments d’amitié à la vie à la mort.

L’avenir a tenu ses promesses d’inconnu, de rencontres, de changements. Pas ceux que j’imaginais, et heureusement. J’aime tellement les surprises !

Ce que je n’avais pas prévu, et dont je ne veux toujours pas, ce sont les poids qui petit à petit ont rendu mes pas moins légers sur l’asphalte. Les plus lourds viennent des concessions faites au fil des ans, et des hontes nées de certains de mes comportements.

J’ai découvert que je ne pouvais pas toujours me faire confiance. La première fois ce fut lorsque je quittai un amour, sur un coup de folie et sans regarder en arrière. J’avais blessé quelqu’un. La seconde quand je m’enfermai dans un job qui me rendait plus malheureuse qu’il ne me transportait. J’y restai par peur du vide. Ce vide qui, petit à petit, prenait dans mon corps et ma tête la place de l’énergie dont j’avais pourtant débordé, lorsque je m’imaginais adulte. Il arriva un moment où tout servait à le remplir, comme lorsque, affamé, on mange sans regarder ce que notre main porte à notre bouche. La troisième fut quand je ne me reconnus pas sur une photo. J’étais devenue une femme qui me faisait horreur lorsque j’étais ado. Ce sans le décider et sans l’aimer.

Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de coller parfaitement à nos visions d’enfant une fois atteints les grands âges qu’on regardait alors de loin. Bien de mes a priori et affirmations d’alors me paraissent aujourd’hui stupides. Parce que j’ai appris, forgé mes opinions. Mais je me demande pourquoi j’en suis arrivée à avoir peur d’être ambitieuse pour ma vie. Pourquoi j’ai refermé si vite la porte de tous les possibles.

Les 18 années écoulées sont passées comme un torrent tumultueux, vite et avec pas mal de coups. De la joie aussi. Je tourne les yeux vers l’arrière. Je vois des paysages inhospitaliers où je ne reviendrai pas. D’autres qui me manqueront toujours mais qui demeureront désormais hors de portée. En faisant le point sur mon équipement, pour la suite de l’aventure, je trouve la naïveté froissée en boule dans le sac de déchets. Cela me rend un peu nostalgique. Pourtant, maintenant que j’en suis débarrassée, le niveau de ma confiance est un peu remonté.

Face à ce nouvel été devant moi, je rêve de marches légères et de temps suspendu. D’une pause dans mes responsabilités et de vide choisi. Mais je garde mon vieux canoë fait d’expériences et de liens humains.

C’est ma fête ?

La graine a pris. Minuscule et fragile dans le secret de mon ventre. Je ferme les yeux pour en voir les racines. Avant d’être un autre, ce possible m’emmène au plus profond de moi : scruter l’endroit où il s’est installé, imaginer à quoi il ressemble, décider aussi de quoi il retourne.

Faut-il le faire pousser ?

Très vite la question se renverse. Que pousse-t-il lui, ce germe, cet embryon de vie ? Que force-t-il en moi pour se faire sa place à lui ?

Tout va se jouer dans ma possibilité à accepter, à partager l’espace.

Mon corps. Je croirai d’abord que tout est là. Puis le déplacement se fera chamboulement, il faudra m’accrocher pour garder ce à quoi je tiens et me battre, graine au ventre, pour choisir mon propre chemin.

Materner pour les autres c’est : grossesse, joies, vacances. Dans mon quotidien j’entend surtout : hôpital, sécurité de l’enfant, examens, allaitement, être toujours belle, ce n’est pas une maladie, ménagez-vous.

Ce matin le journal L’Alsace titre « Ce devait être le plus beau jour de sa vie, c’est le jour où elle va la perdre. »

Écrire pour ne pas perdre la vie.

Écrire pour donner la vie.

Des graines j’en ai plein le ventre. Je ne le savais pas.
Il a fallu les cris de tous ceux qui s’appropriaient mon corps pour que je cherche.
Qu’est-ce qui était important ? Qu’est-ce que je devais cultiver ?

Je ne voulais pas être « La femme enceinte », cette espèce de bête mythique devenue monstre de foire, que tous s’accaparent. Je ne voulais même pas être « La maman », ce rôle social posé sur mes épaules comme une camisole. Je voulais être moi, encore, mieux, plus forte. Pour nous.

La graine que tu étais a fait pousser toutes les autres. Je me retrouve en charge d’un florissant domaine, et rejoue perpétuellement ce que tu m’as fait connaitre : repérer, observer, choisir, cultiver, faire naitre.

Puis offrir au monde.

Le diplôme de bonne mère, 2

Il y a trois ans je parlais ici de la compétition maternelle en salles de naissance, dans Accoucher est toujours héroïque. Très modestement c’est un de mes textes préférés sur ce blog :p . Et si hier soir dans mon lit je pensais vous écrire sur le sentiment d’imposture quand on fait bien quelque chose trop facilement (c’est long comme titre, je trouverai mieux quand je vous le posterai promis ), mes lectures du jour me poussent à revenir à la maternité. Mais finalement ça se rejoint peut-être… Voyons ça…

Si tu as accouché sans péridurale par « choix éthique », il y a fort à parier que tu as aussi décidé d’allaiter ton enfant. Les mères qui ont accouché autrement peuvent également faire ce choix, évidemment, c’était juste pour relier à mon article sur l’accouchement. Vous faites toute partie de ces millions de femmes qui font tout pour donner le meilleur à leur enfant. Et l’OMS, comme les clubs de super mamans, t’ont appris que ton lait ben, c’est ce qu’il y a de meilleur. Je ne veux pas parler ici des bénéfices santé pour le bébé et pour la maman, c’est un débat sans fin. Et je ne crois pas qu’il existe un argument indéboulonnable qui valide la pratique de l’allaitement comme absolument nécessaire dans un pays où l’eau potable coule du robinet. C’est pour ça que je respecte tous les choix qui ont pour objectif de nourrir son enfant à sa faim en respectant les mères, les pères, les frères et les soeurs, hoho !

Moi-même j’ai essayé d’allaiter, puis je me suis rendue à l’évidence que ce n’était le mieux ni pour mon enfant, qui n’était pas assez nourrie, ni pour moi, que ça faisait souffrir psychologiquement et physiquement. Le père m’ayant aidée à mettre de l’ordre dans mes pensées secouées par le post-partum, nous avons finalement mis en place une autre organisation qui nous a toutes et tous épanoui.e.s. Et merci, Oh merci, je ne fréquentais pas à l’époque de communautés en ligne pro-allaitement. Car les ayant découvertes il y a peu, je suis effarée par le mal qu’elles font aux mères. En bref, ce sont des mamans qui jugent d’autres mamans, sur la base de leurs propres peurs d’être de mauvaises mères. Vous me suivez toujours ?

Sous le dessin d’une illustratrice qui parle de son envie de sevrer son enfant (c-a-d d’arrêter de lui donner le sein), on peut lire notamment ce charmant commentaire (source Madame Captain ) :

C’est sympa n’est-ce-pas ?

Plein de sororité non ?

De bienveillance c’est clair…

Vous vous dites peut-être que c’est une hystérique isolée.
Hmmm, elles sont des centaines à répandre leurs discours sectaires sur la toile. Des anonymes, parfois aussi des « professionnelles » de l’allaitement, de l’enfant, autoproclamées ou sans discernement ni éthique.
Et elles font de gros dégâts.

Je l’ai évoqué plus haut, la grande majorité des parents ambitionnent de donner le meilleur à leurs enfants. Mais qu’est-ce-que c’est « le meilleur » ? Ce que je pensais à un moment est-il réellement compatible avec ma santé, ma personnalité, mon quotidien, la famille que j’ai déjà, la vraie vie quoi ? Et ces questions se posent alors que l’on est bombardées d’hormones, épuisées, retournées par ce qu’implique une naissance.

Fatigue + crainte constante de mal faire = stress et culpabilité

Lectures de messages culpabilisants + reproches venant de mères « parfaites » = RISQUE ACCRU DE MAL-ÊTRE PSYCHIQUE

Mon seul avis sur le sevrage est que ce mot ne ma parait pas du tout approprié dans ce contexte : un animal est sevré quand il n’a plus besoin de sa mère pour survivre, alors à moins que tu allaites ton môme jusqu’à ce qu’il ait une situation professionnelle stable, il y a de fortes chances que sein ou pas sein il ne soit en fait jamais sevré !
J’ai lu d’une autre excitée qu’arrêter l’allaitement revenait à faire subir à son enfant l’équivalent d’un arrêt de drogue sans palliatif pour un toxico (sous-entendu « Tu vas le faire clamser ») et là quand même mon sens critique a été titillé, mais soit, ce n’est pas le sujet de mon article.

Non la question que tout ça me pose c’est : qu’est-ce-que ces mères donneuses de leçons ont à se prouver ?

Quel est le rôle de notre société dans cette course à la perfection, qui va jusqu’à s’inventer des défis insensés ? Je lis qu’une mère a mis sa propre santé en danger pour fournir du lait adapté à son enfant multi-allergique (elle ne pouvait presque plus rien manger pour ne pas le rendre malade lui) plutôt que de lui acheter du lait en poudre adapté. Mais ? Mais ? Pourquoi ? Comment ? Houhou !

Il y a une similitude que je retrouve dans le discours de femmes qui se revendiquent « non féministes ». Être femme ce serait enfanter et se sacrifier pour ses enfants. Leur identité a été construite sur ce roc. Evidemment quand tu leur mets devant les yeux d’autres manières d’être femmes, ça ébranle leur schéma de pensée. Et ça fait mal.

J’imagine que quand tu sacrifies tes nuits depuis un, deux, trois ans, et que tu vois qu’une bonne femme s’en sort en donnant un biberon à son petit de six mois et pionce 10 heures d’affilée, ça fout les boules. Un bon moyen de ne pas ébranler ta propre santé mentale c’est alors de pourrir cette femme, de te proclamer haut et fort Mère Teresa de la maternité et surtout surtout, détentrice de La Vérité (Amen).

Je crois aussi que tant que le travail maternel ne sera pas plus reconnu et valorisé, celles qui le subissent fabriqueront leurs propres échelles de reconnaissance. Quitte à marcher sur les copines pour passer devant.

Parce que, qu’on allaite ou pas, qu’on soit une femme ou un homme ou non binaire, donner à manger, éduquer, torcher, laver, sortir les poubelles, faire preuve de patience, contrôler sa violence, jongler entre tout ce que la société attend de nous, c’est épuisant. Et ça peut rendre dingue.

La bienveillance entre personnes qui vivent cette même aventure de la parentalité aiderait grandement à dépasser cela. Le combat ne fait que rendre les choses plus dures. (Amen aussi, c’est gratuit.)

Alors le lien avec le sentiment d’imposture quand on fait bien quelque chose trop facilement ?
Pour ma part je me sens la meilleure des mères dans les moments qui sont pour moi les plus cools, c-a-d qui collent avec ce que j’aime (raconter une histoire, répondre à des questions sur la vie, partager des repas, marcher main dans la main…). Mais quand je lis les efforts que font certaines pour tenir le cap qu’elles s’étaient fixé, ça m’ébranle un peu. Si je ne souffre pas, suis-je vraiment une bonne mère ? Pourtant, les moments qui me crispent sont loin de répondre le mieux à la posture d’éducatrice que je souhaite avoir. J’essaie de faire de mon mieux, seulement mes filles ne sont pas dupes, elle sentent bien que l’osmose n’est alors pas au RDV. J’apprends à me dire que ce n’est pas grave. Les relations humaines n’ont pas vocation à être de longs fleuves tranquilles. Et être une bonne mère n’est pas synonyme de souffrir sa race et donner sa vie pour son enfant.

Me comparer avec d’autres mères ? Sur quels critères ? Dans quel but ?
La maternité n’est pas une épreuve des JO. Ce serait comme me demander sans cesse « Que dois-je faire pour mériter de vivre ? Pour mériter d’être aimée? ». La réponse est : rien, vivre te donne d’office ce droit.

Qui osera me dire que je ne mérite pas d’être mère ?