Choisir

Il y a quelques jours, j’ai demandé sur mon compte Instagram des idées de sujets pour me remettre à écrire ici. L’une de mes lectrices a proposé « Le Choix ». J’ai souri et pensé « la vie est une grande blagueuse. »

Ce mois de janvier, je l’ai passé à prendre des décisions pour mon avenir et celui de ma famille. Des décisions à conséquences immédiates « Vais-je encore faire subir un auto-test à mes toutes petites ?  » ( je suis en effet plus maman-poule qu’on pourrait le croire), et des décisions qui réorientent nos vies, par exemple un déménagement à 1000km de chez nous. Bientôt, il y aura la décision dans un isoloir. Et dès à présent, la décision sur quel avenir pro pour moi dans notre nouvelle vie. Tous ces choix, je les fais assez vite, parce que mon fonctionnement est très simple : l’instinct.

J’ai des ami.e.s que cela fait tomber de leurs chaises : « Vous avez acheté votre maison en une seule semaine après 3 visites ?! ». Ils sont gentils et n’expriment pas à voix haute la désapprobation que je lis dans leurs yeux : « Ces gens sont maboules, quand je pense qu’on les fréquente depuis 10 ans et pire, que parfois ils gardent nos enfants ! ». Mais j’ai choisi un conjoint qui procède comme moi. Et jusqu’à présent cela nous a plutôt réussi.

Seulement ces dernières semaines ont puisé beaucoup de mon énergie, parce que j’ai en objectif non négociable la sécurité des gens qui me sont chers – oui, déménager des enfants qui n’ont rien demandé, ça fait monter mon niveau de stress parental au max, du simple « Aurai-je encore de quoi remplir leurs assiettes ?  » à « Combien d’années de psychanalyse pour se remettre d’un déracinement ? » (maman-poule, j’en ai déjà parlé ou pas ? ) . J’ai donc laissé de côté certains de mes choix personnels, intimes. Je ne peux pas tout porter en même temps, me disais-je.

Une promesse que je m’étais faite il y a deux ans, quand j’ai quitté le salariat et tenté ma chance dans l’écriture, c’était de faire des trucs qui me faisaient marrer, qui m’instruisaient, de créer, de lire, de rencontrer des gens, de voir des choses. Je ne l’ai pas fait de la manière dont je l’avais imaginé, parce que… la vie quoi, le Coco, les enfants, la procrastination, les remises en cause, les fausses pistes. Et puis des trucs c’était peut-être pas tant que ça un objectif réalisable… Mais le pire qui était en train de m’arriver au bout de ces deux ans, c’est que ma peur, de manquer d’argent, de faire peser mon rêve sur les épaules de mon mec, de ne pas avoir totalement choisi la voie qui me correspondait, cette peur elle était en train de me faire dévier de mon choix premier. Et retomber dans ce que je ne voulais plus.

Alors la demande d’Elise, « Parle nous du choix », elle arrivait à pic. Ok je suis mon instinct. Ok dans les projets familiaux mon co-pilote et moi on est raccord. Mais toi bordel de nouilles ? Où te situes-tu dans tout ça ? Que fais-tu pour ton projet secret et mégalo de conquérir ton monde intime pendant tout ce temps ? De t’épanouir en dehors du foyer ?

J’ai donc choisi de remettre sur le devant de la scène un projet auquel je pense depuis quelques mois, mais que j’avais caché sous un gros caillou pour me consacrer aux trucs d’adultes. Ce choix il était sans doute nécessaire pour me délester un peu, le temps que le tourbillon passe, que j’ai plus d’énergie. Mais un choix ça se questionne, ça n’est pas gravé dans le marbre.

Aujourd’hui je choisis donc de redonner de la place à ce projet, dont je peux déjà vous dire qu’il est incroyablement en lien avec la question du choix. Décidément cette concordance des planètes !

Dans les jours qui viennent je vais poser toutes mes idées sur le papier et réfléchir à comment les partager avec vous. Puisque un choix dit HAUT et FORT à plus de chance d’être mis en oeuvre, je m’engage déjà à répondre dans mon prochain article à une autre demande de sujets, autour de la préparation au mariage. Et vous verrez, là aussi on est pile dans les questions qui grouillent en moi en ce moment.

D’ici-là, n’ayez pas peur de choisir. Et racontez-nous là dessous un choix marquant de votre vie.

La table à langer

Il n’y a plus de table à langer dans la salle de bain.
Ce vide m’emplit de pensées.
Elles tapissent mon estomac et la nausée me prend.
La même que celle dans laquelle nous commencions nos journées
quand nos coeurs battaient à l’unisson.

La salle de bain est plus grande.
J’ai jeté tous les petits tubes de crème que nous n’utiliserons plus. Je pensais me sentir débarrassée.
Mais j’étouffe.
Vos yeux plus jamais ne sonderont le fond de mon âme avec la même impudeur.
Ils me faisaient si peur.
Et maintenant que je suis plus forte, que je pourrais les accueillir, c’est vous qui détournez la tête et montez le mur, pierre à pierre, qui délimitera bientôt nos territoires distincts.

Il n’y aura plus de table à langer pour vous.
Oublierez-vous aussi nos mains qui se cherchaient, vos premiers rires quand votre ventre s’offrait à ma gloutonnerie, nos nuits d’insomnie quand j’étais tout, que vous étiez tout ?
Nous comprenions-nous mieux alors ? Non. Bien sûr non. Et puis j’ai grandi et su que jamais tout à fait nous ne nous comprendrions. Et j’ai rangé ma vanité dans la boite de vos premières chaussures.

J’ai lavé la salle de bain. Mes flacons se sont retirés pour offrir un nouveau rangement à vos pyjamas et petits trésors. Les deux paniers noirs de mes affaires sont maintenant dans le placard à porte, cachés des regards. Je n’ai pas pu tout à fait reprendre le dessus dans la pièce, vos traces sont toujours plus voyantes. Je m’efface.

J’ai fait couler l’eau et tout emplit de buée.
Avec elle, j’ai écrit tout ce que j’ai râté
et qui ne reviendra plus.

Savoir que tu existes

Les oiseaux ont commencé leurs activités bien avant le lever du soleil. La frénésie grandissante dans les branches, et le volume des chants, ont annoncé les premiers rayons. À présent qu’il fait bien jour, que les estomacs ont été remplis, la douce musique a trouvé son rythme pour la journée.

Le coucou est le plus sonore et reconnaissable. Son cri reste imprimé dans mon esprit. À chaque fois que je l’entends, je suis ramenée à cet endroit verdoyant, cette île en plein centre d’un village français de campagne. Cette maison de famille qui m’a vue grandir et où mon cœur a le pouvoir de se loger, quand la vie matérielle d’aujourd’hui est décevante.

Plus personne n’habite en ces murs, ni ne vient troubler la vie animale du parc. Les arbres, les fleurs, l’herbe ont dû prendre possession de tout agencement humain. Je peux voir le printemps festoyer en multitudes colorées, en naissances poilues, velues, pelées. Le doux soleil d’avril caresse le paysage, le léger vent fait encore frémir les feuilles. On pourrait sortir sans pull, se prélasser sous les rayons et se détendre sous les feuillages. Mais personne ne le fera.

Savoir qu’un tel endroit existe me donne de la joie. Il y a quelque part un abri loin du monde, où tout est beau. Il y a surtout quelque part une maison qui sait tout de moi. Mes rêves, mes regrets, mes remords, les mots lâchés comme des chiens féroces, ceux retenus et qui sont morts dans l’œuf. Il y a toutes les enfants que je fus, toutes les femmes que j’aurais rêvé être. Les projets échafaudés, seule ou avec des cousins. Nos jeux, fous, cruels, ambitieux. Les leçons de vie, les souvenirs racontés, les photos d’aïeux plus ou moins lointains. Mon île au milieu de la vie qui court, mon nid où pas grand-chose n’avançait mais où je me construisais. Où plus rien ne se passe.

Les fleurs vont éclore. Les feuilles vont redessiner le paysage. L’herbe sera bien haute. On y aurait perdu bien des œufs de Pâques. Les volets rouges, clos, retiendront les fantômes au seuil de la porte. Alors ils remonteront dans les chambres, observant par les fissures des boiseries la lumière jaune poussin qui prépare à l’été. Si quelqu’un passe par hasard en ce lieu, il ne verra qu’une vieille bâtisse à l’abandon. Moi, je vois la vie qui grouille. Celle d’autrefois, celle de maintenant, celle qu’il faut construire.

Un instant, je me couche sur le pré-rond qui accueille le visiteur en haut de la côte d’accès. Ce sont les vacances, il n’y a rien à faire. Le temps ici n’a pas d’importance. Ce qui est important c’est de profiter de cet après-midi d’avril qui ne reviendra que dans un an. De passer sa main, doigts écartés, dans les herbes grasses. De regarder la lente procession des nuages, et de fermer les yeux pour sentir chaque rayon du soleil sur la peau. J’ai 6 ans, 10 ans, 15 ans, 20 ans, 23 ans, 26 ans. Je suis toujours un peu différente. Mais je me sens à chaque fois une fille d’ici.

Savoir que tu existes pour exister aussi.

 

 

Une promesse

L’eau sur ton corps a bien du mal à effacer l’envie de te recoucher.
Ta peau est encore inerte, et tes muscles te font l’effet de petits loirs endormis blottis les uns contre les autres. Ton esprit essaie tant bien que mal de réveiller tout le monde.

Le petit déjeuner te parait bien long, étourdie par le flot de paroles sortant de ta radio et des membres de ta famille tout autour de toi. Ca piaille, avale, se plaint, renverse du lait, exige une tartine, chante, pleure, rit, attend une réponse mais tu n’as pas écouté la question.

Tout à coup le temps semble s’être recroquevillé, pouf!, t’abandonnant lâchement au moment le plus critique. Vite essuyer une bouche, vite la queue aux toilettes, vite les chaussures, vite remonter chercher cette veste, vite consoler celui qu’on a trop houspillé, vite ne pas s’oublier soi-même quelque part entre la cuisine et le seuil de la porte.

– Tout le monde dehors, poussez-vous je n’arrive pas à fermer la porte, là encore un peu descend la marche, merci, allez c’est bon.

Clac!

Il te faut quelques minutes, après avoir rassemblé ta troupe et commencé la marche.
Mais quand tu t’en aperçois, tout se remet en place en toi. Et le sourire retrouve ton visage. Il fait jour ce matin. Il fait jour à cette heure-ci.

– Enfin!

Et alors tu chantes à ton tour.